Vente de livres anciens et d'occasion

Un tigre rouge sur fond bleu

Le 29/04/2022 0

Si les beaux livres m’attirent, je donne plus de prix, comprendre de valeur émotionnelle, aux petits bouts de vie, aux témoignages que les anciens, souvent des anonymes, ont laissés derrière eux. Témoignages qui ne valent rien, comprendre en valeur pécuniaire, mais que je regroupe dans ce que je ne peux pas encore appeler une « collection ».

Aujourd’hui, je vous présente un cahier d’écolier sur les pages duquel furent réunis deux romans sportifs : une fiction sur la boxe et le récit autobiographique d’un joueur de football.

Une sélection très personnelle : boxe et football

On néglige souvent l’importance des lectures de jeunesse, des premières rencontres avec l’écrit et de la découverte des émotions que suscite la lecture.
Quelque part en France, un jeune garçon, dont l’identité nous restera inconnue, a décidé de réunir, rien que pour lui, deux de ses récits préférés dans un cahier d’écolier. Il s’agit du Tigre rouge et de Cent mille coups de bottes ».

J’imagine qu’il se constitua ce recueil à défaut de pouvoir s’acheter un livre par manque d’argent ou parce que ces chefs d’œuvre ne furent jamais édités dans ce format. Peut-être, tout simplement désirait-il avoir, secrètement, son livre à lui. Ouvrons donc ce cahier…

 

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Une sélection très personnelle : boxe et football

La qualité du papier et son jaunissement, le thème et les illustrations semblent indiquer une publication populaire d’avant-guerre ; d’autant plus que le pseudonyme de Pellos ne m’est pas inconnu : il s’agit d’un illustrateur de magazines (sport, humour, enfance) qui fut très actif pendant cette période.

D’ailleurs, une recherche sur internet (merci Google) le confirme : MATCH [No 611] du 01/02/1938 - LE TIGRE ROUGE / ROMAN DE DON SKENE » avec cette photo de la couverture.

Article en vente à 21 euros. Soit dit en passant, si je proposais à l’étalage au salon du livre à Sens un numéro de magazine sportif à un tel prix, je me ferai sans doute traiter de voleur…

 

Voilà qui nous donne une date précise pour le premier roman. Concernant le récit autobiographique d’Etienne Mattler, Wikipedia (encore elle !) me renseigne instantanément : « Étienne Mattler est un footballeur international français né le 24 décembre 1905 à Belfort et mort le 23 mars 1986 à Bavilliers (Territoire de Belfort). Il évolue au poste de défenseur sous les couleurs du FC Sochaux presque toute sa carrière et remporte avec son équipe deux titres de champion de France en 1935 et 1938 et une Coupe de France en 1937. Il est le joueur le plus capé de toute l'histoire du FC Sochaux. Avec l'équipe de France, il est sélectionné à 46 reprises et participe aux coupes du monde 1930, 1934 et 1938. Il porte le brassard de capitaine à 14 reprises ».

 

Dans les premières lignes suivant l’intertitre « Ma 3e coupe du monde : une déception », l’auteur précise : « lorsque débuta la 3e Coupe du Monde voici près d’une année, à Paris, les ambitions de l’équipe de France était grandes ». Ce passage nous renseigne sur la date de parution probable (sans doute dans le même magazine) : première moitié de l’année 1939 (la coupe de 1938 se tint en juin 1938, voir ici) et sur l’éternel contraste entre l’état d’esprit des équipes de France et leur résultat au classement du tournoi mondial. Sachant que le joueur achève son récit par « Enfin laissez-moi formuler un souhait, mon plus cher souhait : voir l’équipe de France gagner un jour cette Coupe du Monde que j’ai jouée trois fois sans succès. Etienne Mattler est mort en 1986, je vous laisse réfléchir à ses dernières volontés.

Déductions...

On ne peut que formuler des hypothèses : notre jeune inconnu devait avoir entre 12 et 15 ans en 1939 et peut-être vivait-il dans la région de Sochaux ou de Belfort. Mais, me direz-vous, on peut admirer un sportif sans y être lié par son histoire personnelle ou les couleurs de son équipe…
De plus, sur une des photos du cahier, votre œil exercé aura remarqué qu’il manque une des colonnes, déchirée, à la fin du deuxième texte. Mon œil, peut-être moins expert que le vôtre, a immédiatement noté la régularité de la découpe de chaque colonne (au plus près du texte, raccords impeccables, même les notes de bas de page sont incluses) et le soin avec lequel chacune d’elle fut collée proprement en respectant les marges et les espaces. Pas de pagination ni d’annotations manuscrites. On imagine donc un enfant appliqué, un jeune lecteur qui a peut-être tenu à commencer sa petite « bibliothèque intime ».
Ces collages me font également penser à la mode très « ados » des vignettes autocollantes de type Panini (thème sportif, cahier à soi, collection d’images à coller selon les encadrés numérotés, etc.). Certaines marques existaient déjà à cette époque, Panini, c’est 1961…
Pour finir, un petit détail que je soumets à votre sagacité : dans les magazines, les pages des romans étaient sans doute imprimées recto/verso. Donc… Donc… Vous ne voyez pas où je veux en venir ?

Donc ce jeune homme a dû acheter deux exemplaires de chaque magazine afin de pouvoir se constituer ce petit recueil ! Car coller un recto, c'est cacher la suite imprimée au verso, et inversement...
Ce qui souligne l’intérêt qu’il a porté à ces deux textes.

La guerre pour jeunesse

Pour finir, chers lecteurs, j'aimerais attirer votre attention sur un point précis de notre histoire européenne : l'année 1938-1939.
D'après le journal La Croix, le tournoi de la coupe du monde de football de 1938 fut accueilli par la France. On y vit Mussolini revendiquer la victoire au nom du fascisme. Lire l'article

Le sport fut-il un refuge pour ce jeune garçon alors que ces deux années furent marquées par l'imminence d'une guerre dévastatrice ?
Imaginez-vous que ce jeune lecteur eut une adolescence marquée par l'Occupation ? Le récit de jeunesse d'Etienne Mattler qui évoque, dans les premières colonnes du texte, ses souvenirs d'enfance lors de la Première guerre mondiale, ne fait-il pas écho à l'avenir de son jeune lecteur qui vivra une seconde guerre mondiale ?
Jeune garçon, jeune homme, qui que tu fus, j'espère que, à Belfort, à Sochaux ou ailleurs, tu ne portas jamais l'étoile jaune sous l'occupation nazie en France, que la guerre et la folie des hommes t'ont épargné. Aujourd'hui, en reconstituant un court instant de ta vie, je pense aux enfants qui, au moment où j'écris ces mots, connaissent les affres de la guerre aux confins de l'Europe, là-bas, à l'est.

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